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La Note Inafon - Non cumul" des libéralités et des droits légaux du conjoint survivant (C. civ. article 758-6) : imputation "en valeur" des libéralités en usufruit sur la vocation légale en propriété*

Publié le 02/02/24 par Inafon National

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"Non cumul" des libéralités et des droits légaux du conjoint survivant (C. civ. article 758-6) : imputation "en valeur" des libéralités en usufruit sur la vocation légale en propriété*

Cass. 1ère civ., 17 janv. 2024, n° 21-20.520

Dans un arrêt en date du 17 janvier 2024 (Cass. 1ère civ., 17 janv. 2024, n° 21-20.520) la Cour de cassation devait se prononcer sur les droits successoraux du conjoint survivant, et plus précisément sur la règle d’imputation de l’article 758-6 du Code civil, qui vise à limiter les « cumuls » entre la vocation légale du conjoint et les libéralités à lui consenties.

Dans l’affaire en cause, il était question de la liquidation et du partage d’une succession entre le conjoint survivant, légataire de la pleine propriété des liquidités du défunt et de l’usufruit du reste de ses biens, les deux enfants du couple et un enfant issu d’une première union.

Ce dernier entendait engager la responsabilité du notaire en charge du partage, lui reprochant une mauvaise information et, partant, une erreur de liquidation, notamment parce qu’il n’avait pas fait application de la règle dite de « non cumul » des libéralités avec les droits légaux.

Il n’obtient pas gain de cause devant la Cour d’appel qui estime au contraire que le cumul était possible et permettait au conjoint de bénéficier « (…) par application combinée des articles 757 et 1094-1 du même code, (…) outre du quart en pleine propriété de la succession, de l'usufruit des trois quarts, au titre de la quotité disponible spéciale ».

L’enfant forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation qui lui donne raison en censurant l’arrêt d’appel au visa des articles 757 et 758-6 du Code civil.

La haute juridiction rappelle d’abord qu’il résulte du premier de ces textes que le conjoint survivant confronté à un enfant de première union ne peut prétendre qu’à la vocation légale du quart en propriété, et que le second prescrit d’imputer sur cette vocation les libéralités qu’il a reçues : « Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1.»

Elle donne ensuite la méthode pour liquider correctement les droits du conjoint en pareille hypothèse, rappelant au passage que l’imputation des libéralités en usufruit suppose une conversion, ou si l’on préfère une valorisation, préalable, dudit usufruit en capital : « pour la détermination des droits successoraux du conjoint survivant (….) les legs consentis à Mme [M] devaient d’abord, non pas se cumuler, mais s’imputer en intégralité sur les droits légaux de celle-ci, de sorte qu’il y avait lieu de calculer la valeur totale de ces legs, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit, et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l’article 758-5 du code civil »

( Fin de l'extrait )

Ce nouvel arrêt « liquidatif » de la Cour de cassation fournit plusieurs enseignements utiles.

Il permet d’abord de rappeler que la règle d’imputation de l’article 758-6 du Code civil ne se limite pas à fixer un « plafond » pour éviter que la somme des libéralités et des droits légaux n’excède la quotité disponible spéciale mixte entre époux de l’article 1094-1 du Code civil (un quart en propriété et trois quarts en usufruit).  Elle va au-delà puisqu’elle conduit à diminuer la vocation légale en propriété à hauteur de la valeur des libéralités reçues par le conjoint, quitte à la réduire à néant pour ne laisser à celui-ci que lesdites libéralités, si cette valeur est finalement supérieure.

L’arrêt précise ensuite que si le conjoint a reçu des libéralités en usufruit (et ce serait vrai aussi de libéralités en nue-propriété), il convient de commencer par les « valoriser » (en tenant compte, s’agissant d’une opération civile de liquidation de la valeur économique de l’usufruit), avant de les imputer. La comparaison induite par la règle d’imputation de l’article 758-6 du Code civil se fait donc entre deux valeurs : celle du « quart légal » (déterminée suivant les prescriptions de l’article 758-5 du Code civil), d’une part, celle des libéralités consenties au conjoint, d’autre part.

Il faut alors prendre garde de ne pas confondre cette règle d’imputation « en valeur », qui ne sert qu’à déterminer si le conjoint peut prétendre à des droits légaux complémentaires venant s’ajouter aux libéralités qu’il a reçues, avec la règle d’imputation « en assiette », qui intervient plus tôt dans la liquidation, lorsqu’il s’agit de rechercher si les libéralités consenties au conjoint (ou à des tiers) portent ou non atteinte à la réserve héréditaire.

On notera encore que cette méthode de « conversion » (ou valorisation) de l’usufruit pour procéder à l’imputation de l’article 758-6 du Code civil, qui est préconisée par une doctrine très majoritaire, n’avait pas fait l’objet d’une véritable consécration par la Cour de cassation depuis la réforme du 23 juin 2006 (v. toutefois, avant les réformes de 2001 et 2006 mutatis mutandis, Cass. 1ère civ. 6 février 2001, Bull. civ. I, n°28). C’est désormais chose faite, de manière très claire, ce qui est un autre mérite de l’arrêt.

Le dernier est sans doute de rappeler aux praticiens, au-delà même de l’article 758-6 du Code civil, la nécessité de parvenir à une liquidation « orthodoxe » des droits des parties sous peine de voir leur responsabilité engagée (v. déjà, Cass. 1re civ., 22 nov. 2017, n° 16-26.169 :  JurisData n° 2017-023886, JCP N 2018, n° 38, 1283, comm. D. Epailly).

 

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*La présente note reprend celle figurant dans la documentation ALS.not du site www.alsnot.fr avec l’aimable autorisation de son fondateur, M. David Epailly.